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"Le jour du deuxième tour, je suis allée glisser un bulletin blanc dans l'urne. Je le regrette. Pour notre défense, nous n'avions aucune idée de ce que cela serait de vivre dans un pays dirigé par des populistes d'extrême-droite.”


Je m’appelle Julia, je vis à Varsovie et je suis polonaise. Comme vous, j’ai fait face à une élection difficile il y a peu de temps. Le printemps 2015 a été une période difficile pour moi et de nombreux polonais.

Au soir du premier tour de l'élection présidentielle, je découvrais deux finalistes qui m'apparaissaient alors aussi inacceptables l'un que l'autre : un néo-libéral d'un côté, un ultraconservateur de l'autre. Ce scénario vous semble familier ?

Le premier candidat était le président sortant, Bronisław Komorowski : à son manque total de charisme s'ajoutait son affiliation au parti au pouvoir, le parti chrétien-démocrate néo-libéral “Plateforme Civique”. Dans les mois qui avaient précédé l'élection, “Plateforme Civique” (ou PO, abréviation de “Platforma Obywatelska” en polonais) avait vu sa popularité chuter du fait de multiples scandales de corruption et de mauvaise gestion. Ces scandales à répétition avaient fait monter les sentiments de défiance et de colère au sein de la population polonaise.

Son adversaire était Andrzej Duda, le candidat du parti Loi et Justice (PiS, « Prawo i Sprawiedliwość » en polonais) : un parti nationaliste et populiste d'extrême-droite dirigé par Jarosław Kaczyński. Les principaux atouts d’Andrzej Duda étaient sa relative “fraîcheur”, et surtout l'absence d'affaires de corruption. Son discours, basé sur la rhétorique populiste du Nous contre Eux” (“Eux” désignant aussi bien le pouvoir en place que les réfugiés), lui a permis de rallier les soutiens de citoyens déçus par la politique économique néo-libérale conduite par le gouvernement précédent.

Pour une partisane de la gauche progressiste telle que moi, le choix était cornélien... Comme beaucoup d'autres, je me sentais à la fois en colère et frustrée : quel que soit le candidat pour lequel je déciderais de voter, j’aurais le sentiment de renier mes valeurs et de légitimer un candidat auquel je me sentais fondamentalement opposée.

Le jour du deuxième tour, je suis donc allée au bureau de vote pour glisser un bulletin blanc dans l'urne. À ce moment-là, j'avais le sentiment non seulement de remplir mon devoir de citoyenne, mais aussi d'avoir réussi à ne pas compromettre les valeurs auxquelles je croyais. Beaucoup de mes amis ont fait de même, certains ne se sont pas déplacés. Au final, seuls 55,3 % des électeurs se sont présentés dans les bureaux de vote ce jour-là. Pour notre défense, nous n'avions aucune idée de ce que cela serait de vivre dans un pays dirigé par des populistes d'extrême-droite.

Andrzej Duda a remporté l'élection avec 3 points d'avance. Avec cette victoire, mon refus de faire un choix s'est révélé en effet un choix puissant : en refusant de donner ma voix au candidat chrétien-démocrate, j'ai contribué à la victoire de l'extrême droite populiste. Et je le regrette.

Vous voulez savoir ce que c'est de vivre dans un pays gouverné par l'extrême-droite ?

La première chose qui change, c'est le langage utilisé dans la sphère publique : la victoire électorale d'individus qui prônent la haine des femmes, des migrants, des environnementalistes, des cyclistes et des athées a pour effet de rendre le langage de haine acceptable dans le débat public. Et avec ce langage, toute la violence qu'il justifie. Le gouvernement populiste s'épanouit en opposant une nation polonaise monolithique, entièrement fictive, à “l'Autre” : le réfugié musulman, l'homosexuel dans la rue, le voisin ukrainien, la femme qui choisit de subir un avortement. Aujourd'hui, la violence contre les minorités est en hausse, les agressions racistes sont une réalité quotidienne pour les non-blancs... et les femmes continuent de lutter contre les violations de leurs droits et libertés qui sont directement sanctionnées par le pouvoir d’extrême-droite.

La deuxième chose qui change sous un pouvoir d’extrême-droite, c'est le véritable déferlement d'attaques contre les institutions qui fondent la démocratie, ces institutions dont le rôle est de garantir l'équilibre d’un régime démocratique véritable : le parlement, la justice, les médias, etc.

Certes, le parti Loi et Justice a heureusement trop peu de sièges au parlement pour pouvoir arbitrairement modifier la constitution polonaise et réformer notre système politique de manière radicale. Mais il a trouvé des solutions pour lever ces barrières. Il a fait passer des lois qui paralysent l’action de la Cour Constitutionnelle, première autorité judiciaire de notre pays et dernière ligne de défense de notre démocratie, dans un seul but : éliminer tous les systèmes de contrôle du pouvoir du gouvernement, afin de changer les lois comme il le décide. Et il a réussi.

Depuis qu'il est au pouvoir, le parti d'extrême droite Loi et Justice est parvenu à prendre le contrôle des médias publics, les transformant en de véritables machines de propagande. Sous ce nouveau régime, le service civil a été politisé, des apparatchiks ont été nommés à tous les postes-clés, et la mise sous surveillance de n'importe quel individu sans injonction d'une cour de justice est devenue légale. Les organisations de défense des droits civiques critiques envers le gouvernement ont vu leurs subventions publiques fondre. Une réforme du système éducatif a permis de réintroduire le nationalisme dans les programmes scolaires, pour servir l'ambition du gouvernement d'éduquer une nouvelle génération de Polonais qui suivra son programme xénophobe et nationaliste sans se poser de question. Ces derniers temps, le gouvernement a décidé de s'attaquer aux autorités judiciaires indépendantes : il ne doit rester aucun juge en mesure de lui demander des comptes devant une cour de justice.

Des lois sur l'avortement au démantèlement de la société civile polonaise, en passant par les désastres diplomatiques, la destruction de l'environnement, la réforme populiste sur les retraites et la dévaluation de notre monnaie : la liste des exactions de l’extrême-droite en Pologne est déjà longue, après à peine un an et demi. Nous n'avons pas uniquement changé de rhétorique, nous sommes passés dans un autre système... Un système qui veut bâtir des murs, qui met en œuvre des politiques fondées sur la peur et la haine, et qui prive les minorités de leurs libertés et de leurs droits fondamentaux. Nous ne sommes plus dans une démocratie libérale : nous vivons dans un régime à parti unique autoritaire.

Je me le dis aujourd'hui : si j'avais su ce qu'un gouvernement Loi et Justice produirait pour la Pologne et les Polonais, j'aurais tout fait pour empêcher cela, comme beaucoup de mes concitoyens. Certes, voter en faveur du candidat libéral aurait heurté mon système de valeurs personnel. Mais il aurait permis à beaucoup, femmes et membres de minorités raciales, religieuses, de genre et sexuelles, de voir la protection de leurs droits et libertés garantie par une véritable démocratie.

Au cours de cette élection, de nombreux Polonais ont voté blanc. Notre refus de faire un choix a joué en faveur du candidat extrémiste. Bien que les pouvoirs du président soient limités en Pologne, cette élection a eu des répercussions qui vont bien au-delà de la présidence : elle a renforcé le parti Loi et Justice, lui permettant de surfer sur une grande vague de popularité et de remporter une grande victoire lors des élections parlementaires, 5 mois plus tard. C'est cette victoire-là qui a tout changé.

Lorsque l'extrême-droite arrive au pouvoir, les valeurs démocratiques, la séparation des pouvoirs et les droits des minorités sont ses premières victimes. Et il n'est pas possible de construire une Europe moderne, progressiste et ouverte avec des populistes et des nationalistes. L'histoire de l'Europe l'a déjà démontré. Je fais le vœu que cette histoire-là ne se répète pas.


Crédit photo Grzegorz Żukowski via Flickr CC BY-NC 2.0

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